LES PROTHESES DISCALES

LES PROTHESES DISCALES

Quelles indications ? Quels critères ? Quels résultats

 

Professeur Richard ASSAKER

 

Définition

L’arthroplastie discale consiste en la réalisation d’une dissectomie complète par voie antérieure suivie de la mise en place d’une prothèse discale, préservant ainsi la mobilité.

Introduction

La dégénérescence discale est la première étiologie de la lombalgie chronique et constitue la principale cause d’incapacité de travail chez les moins de 45 ans. Le contrôle des facteurs de risque (surpoids, tabac,..) et la prise en charge médicale conservatrice demeurent essentiels. Les traitements conservateurs ne s’avèrent pas efficaces dans tous les cas. On estime que 2,5% à 5% des patients lombalgiques chroniques résistent aux traitements conservateurs et présentent une invalidité telle qu’elle empêche toute reprise d’activité [1]. Dans ces situations, la chirurgie d’arthrodèse a démontré sa supériorité sur le traitement conservateur fonctionnel comme cela a été rapporté par Fritzell [2] dans une étude multicentrique prospective randomisée. Les techniques d’arthrodèse ont été développées dans le but de supprimer la douleur en neutralisant l’instabilité algogène du segment mobile rachidien. En dépit des bons résultats cliniques, de nombreuses controverses sont apparues quant au développement ultérieur de discopathies adjacentes et certaines études rapportent des taux pouvant atteindre 20% des cas à 10 ans [3]. Ceci a conduit au développement de nouvelles techniques, dont le remplacement prothétique du disque intervertébral [4]. Les progrès techniques et la meilleure connaissance du comportement biomécanique du disque intervertébral ont permis le développement d’implants plus fiables.

Indication

La prise en charge chirurgicale d’un patient présentant une lombalgie chronique d’origine discale (discogénique) nécessite le respect de plusieurs critères.

Clinique :

  • Le traitement chirurgical de la lombalgie ne peut se concevoir qu’après l’échec du traitement conservateur pendant plus de six mois.
  • Le handicap fonctionnel doit être significatif. Pour cela l’utilisation d’un score reproductible est souhaitable. Un score d’Oswestry (ODI) supérieur à 20/50      (40%) est requit avant d’envisager un traitement chirurgical.
  • La lombalgie discogénique doit répondre à certains critères sémiologiques. Le clinicien s’efforcera d’écarter des lombalgies liées à un déconditionnement      musculaire ou à un syndrome articulaire postérieur. La lombalgie discogénique est classiquement diffuse, irradiant en ceinture, impulsive et majorée par la position assise. Une irradiation « pseudo radiculaire » est classique mais elle doit demeurer au second plan du tableau clinique.

Radiologique :

Le bilan radiologique se doit d’être exhaustif aussi bien pour établir le diagnostic positif que pour dépister les éventuelles contre indications.

  • L’IRM constitue l’examen clé du diagnostic. Elle permet d’identifier le niveau      pathologique et d’objectiver l’atteinte discale [5]. La présence de remaniements inflammatoires des plateaux vertébraux  constitue un facteur pronostic [6].
  • Le scanner rachidien demeure un examen nécessaire car il évalue la qualité de la trame osseuse et l’état des articulaires postérieures. Un angioscanner des vaisseaux iliaques peut être couplé à l’examen pour évaluer les difficultés d’accès en fonction de l’anatomie vasculaire du patient.
  • Radiographies : les téléradiographies en charge sont également très informatives. Elles permettent d’évaluer les paramètres de l’équilibre sagittal du patient et de dépister une déformation scoliotique (contre-indication à l’arthroplastie).
  • Discographie : le diagnostic de lombalgie discogénique repose donc sur un faisceau d’arguments clinique et radiologique. Un test discographique de provocation a été prôné par certains de part sa sensibilité importante (Se>90%). Toutefois, cet examen invasif n’est plus systématique et ne sera proposé qu’en cas de doute diagnostic important, pour mieux préciser le niveau lésionnel.
  • Ostéodensitométrie : elle sera pratiquée en présence de facteurs de risques. Un  T-Score <-1 constitue une contre indication à l’arthroplastie.

Avantages théoriques de l’arthroplastie

Au terme de ce bilan, si un patient est éligible à une prise en charge chirurgicale, il convient de définir la stratégie la plus adaptée. L’arthroplastie doit être proposée à certains patients car elle présente de nombreux avantages :

  • L’abord antérieur permet de réaliser l’exérèse complète du disque qui est la source de la douleur (pain generator).
  • L’abord antérieur permet une meilleure restauration des hauteurs discale et foraminale.
  • La prothèse permet de préserver ou restaurer la mobilité segmentaire.
  • La prothèse permet de protéger les segments adjacents.
  • La prothèse permet une réhabilitation et une reprise d’activité plus rapide.

Contre-indications

Dans le cas où une arthroplastie est envisagée, il convient de s’assurer de l’absence de contre-indication.

Liées au patient : l’arthroplastie nécessite un abord antérieur qui expose à des risques vasculaires (rares) et d’éjaculation rétrograde (<1%) par dissection du plexus hypogastrique. Le patient doit en être clairement informé au préalable. De plus, tout antécédent de chirurgie vasculaire ou abdominal peut accroître les difficultés de dissection, et constituer une limite.

L’obésité constitue également une limite à l’arthroplastie. La morbidité accrue de l’abord antérieur et les contraintes mécaniques accrues exercées sur l’implant doivent limiter l’utilisation de l’arthroplastie pour un BMI< 35.

L’ostéoporose : un T-Score <-1 constitue une contre-indication classique de part le risque d’impaction de la prothèse dans les plateaux adjacents (« trop fragiles »).

Une atteinte articulaire postérieure doit faire contre-indiquer l’arthroplastie. Si le patient présente une douleur articulaire associée, le maintient de la mobilité va entretenir ces contraintes et être à l’origine d’un mauvais résultat thérapeutique. En cas de doute, une infiltration articulaire peut servir de test thérapeutique (« block-test »). Une hypertrophie articulaire objectivée au scanner doit imposer la même prudence.

Une déformation vertébrale (scoliose ou spondylolisthésis) connue ou dépistée constitue une contre-indication classique à l’arthroplastie. 

Résultats

Efficacité

Plusieurs études prospectives randomisées ont été publiées comparant la chirurgie d’arthrodèse avec la prothèse discale. De nombreuses études ont démontrées un bénéfice immédiat après arthroplastie. La mise en place d’une prothèse permet une hospitalisation plus courte et une reprise d’activité plus précoce. Les douleurs postopératoires sont également largement diminuées. Concernant le contrôle de la lombalgie et le statut fonctionnel, l’arthroplastie a démontré son efficacité en comparaison à l’arthrodèse qui demeure toutefois le traitement chirurgical de référence. Certaines études rapportent une supériorité de l’arthroplastie tandis que d’autres ne retrouvent pas de différence significative entre les deux modalités de traitement [7-9]. Il n’existe que peu d’études rapportant les résultats à long terme, et nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la pérennité de l’implant [10].

Discopathie adjacente

La préservation des disques adjacents est un des avantages « théoriques » de la prothèse discale, qui a initialement justifié sa mise au point. De manière paradoxale, il n’existe que très peu de données attestant de ce bénéfice [11]. Un suivi à très long terme est nécessaire et des travaux ultérieurs devraient nous renseigner.

Complications

Les complications de l’abord antérieur sont inhabituelles en chirurgie rachidienne et le patient doit en être clairement informé. Des complications digestives, vasculaires, neurologiques, ou sexuelles peuvent se rencontrer mais demeurent tout à fait exceptionnelles. Ces mêmes études ont rapporté des taux de complications et de morbidité similaires entre l’arthrodèse postérieure et la prothèse lombaire. Les complications sont plus liées à la voie d’abord ou à la technique de pose ce qui souligne que cette chirurgie doit être réservée à des chirurgiens spécialisés et expérimentés à cette technique.

Conclusion

Le traitement chirurgical de la lombalgie discogénique ne s’envisage qu’en cas d’échec des mesures conservatrices. La prothèse discale est une alternative thérapeutique séduisante. Une sélection drastique des indications est nécessaire. Les résultats préliminaires sont encourageants mais les résultats à long terme demeurent largement inconnus.

 

HAS 2011 : 

1. « La prise en charge est assurée en cas de lombalgie discogénique, chronique et invalidante, résistant à un traitement médical bien conduit pendant au moins 6 mois et de préférence 1 an, chez un sujet adulte de moins de 60 ans, porteur d’une discopathie lombaire ou lombo-sacrée symptomatique. Un seul disque pathologique doit être remplacé par prothèse discale lombaire.»

2. « La décision de pose d’une prothèse discale lombaire doit prendre en compte les trois dimensions suivantes : clinique, imagerie et psycho socio professionnelle.»

3. « Le nombre d’implantations de prothèses discales lombaires attendu par an doit être d’au moins 15 par équipe chirurgicale.»

4. « Un chirurgien ayant des compétences en chirurgie vasculaire doit être disponible au sein de l’établissement.» 

Références

1. Koes BW, van Tulder MW, Thomas S. Diagnosis and treatment of low back pain. BMJ,2006;  332: 1430-4

2. Fritzell P, Hägg O, Wessberg P, Nordwall A; Swedish Lumbar Spine Study Group. 2001 Volvo Award Winner in Clinical Studies: Lumbar fusion versus nonsurgical treatment for chronic low back pain: a multicenter randomized controlled trial from the Swedish Lumbar Spine Study Group. Spine 2001;26:2521-32.

3. Kumar MN, Jacquot F, Hall H. Long-term follow-up of functional outcomes and radiographic changes at adjacent levels following lumbar spine fusion for degenerative disc disease. Eur Spine J 2001; 10: 309-13.17.

4. Fernström U.Arthroplasty with intercorporal endoprothesis in herniated disc and in painful disc. Acta Chir Scand Suppl, 1966; 357:154-9.

5. Griffith JF, Wang YX, Antonio GE, Choi KC, Yu A, Ahuja AT, Leung PC. Modified Pfirrmann grading system for lumbar intervertebral disc degeneration. Spine (Phila Pa 1976). 2007 Nov 15; 32(24): E708-12.

6. Blondel B, Tropiano P, Gaudart J, Huang RC, Marnay T. Clinical results of lumbar total disc arthroplasty in accordance with Modic signs, with a 2-year-minimum follow-up. Spine (Phila Pa 1976). 2011 Dec 15; 36(26): 2309-15.

7. Blumenthal S, McAfee PC, Guyer RD, et al. A Prospective, Randomized, Multicenter Food and Drug Administration Investigational Device Exemptions Study of Lumbar Total Disc Replacement with the CHARITÉ™ Artificial Disc Versus Lumbar Fusion. Spine 2005; 30:1565-75.

8. Sasso RC, Foulk DM, Hahn M. Prospective, randomized trial of metal-on-metal artificial lumbar disc replacement: initial results for treatment of discogenic pain. Spine 2008; 33:123-31.

9. Zigler J, Delamarter R, Spivak JM, Linovitz RJ, Danielson GO 3rd, Haider TT, Cammisa F, Zuchermann J, Balderston R, Kitchel S, Foley K, Watkins R, Bradford D, Yue J, Yuan H, Herkowitz H, Geiger D, Bendo J, Peppers T, Sachs B, Girardi F, Kropf M, Goldstein J. Results of the prospective, randomized, multicenter Food and Drug Administration investigational device exemption study of the ProDisc-L total disc replacement versus circumferential fusion for the treatment of 1-level degenerative disc disease. Spine, 2007 May 15; 32 (11): 1155-62.

10. Tropiano P, Huang RC, Girardi FP, Cammisa FP Jr, Marnay T. Lumbar total disc replacement, 7 to 11 years of follow up. J Bone Joint Surg Am, 2005; 87: 490-96.

11. Harrop JS, Youssef JA, Maltenfort M, et al. Lumbar adjacent segment degeneration and disease after arthrodesis and total disc arthroplasty. Spine 2008; 33:1701-7.